Canine et Gunn by Oppel et Dorison

Canine et Gunn by Oppel et Dorison

Auteur:Oppel et Dorison [Dorison, Oppel et]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
ISBN: 9782070489404
Google: awi9QwAACAAJ
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 1983-01-12T23:00:00+00:00


CHAPITRE HUIT

El Pirata reçut au visage la bouffée d’air brûlant qui accompagnait chaque ouverture de la porte de son bistrot. Situé bien en retrait du port et de l’animation estivale, son établissement ne recevait qu’un nombre restreint d’habitués. L’intrus qui venait d’entrer n’appartenait pas à ceux-ci, il le savait rien qu’à la manière dont son pas résonnait dans la salle vide ; un écho dédoublé courait au ras du sol, l’accompagnant. Sans cesser d’essuyer le verre qu’il tenait, El Pirata attendit que le nouvel arrivant s’arrête au bar et prenne place sur l’un des hauts tabourets, seule concession au modernisme des débits de boissons.

— Ay, Pepita ! dit-il.

— Buenos tardes, hombre, tu n’as rien perdu de ta sagacité, répondit Canine en posant un coude sur le comptoir.

L’Espagnol rencontra un regard gris-bleu, encadré par la monture rectangulaire en acier poli des lunettes dont les branches avaient trois pouces d’épaisseur.

— Longtemps qu’on ne t’avait vue dans le pays, reprit El Pirata ; qu’est-ce que tu prends ?

— Une sangria dans un grand verre et trois mesures de blanche !

Sans sourciller, le cafetier plongea une louche argentée dans une bassine pleine d’un liquide écarlate à la surface duquel nageaient citrons, oranges et pommes coupés en morceaux.

— Voilà déjà la sangria… Pour le reste, tu le veux en vrac ou en doses unitaires ?

— En doses.

El Pirata lâcha son torchon et disparut derrière un rideau de perles qui cliqueta dans le silence humide du café. Canine but une gorgée et regarda autour d’elle : rien n’avait changé depuis la dernière fois.

Le décor était sobre, intime. Ici, pas d’affiches bariolées annonçant la course de toros, aucune paire de castagnettes géantes pendant des solives comme des oreilles monstrueuses, pas le moindre éventail made in Taïwan. Un mur s’ornait des restes d’un filet de pêche avec deux boules en verre coloré, rappelant la proximité de la mer. Au-dessus du percolateur, une muleta aux couleurs fanées était punaisée, une épée mince et rouillée barrant le tissu en diagonale : le père d’El Pirata, bien connu des aficionados du monde entier, avait fait connaissance avec une corne qui avait traversé son habit de lumière juste à la place du cœur.

— Ça te gênerait d’arrêter de faire la gueule ? dit Canine.

Gunn ferma les yeux sans répondre et resserra sa position en boule, au pied du tabouret ; il faisait trop chaud, il entendait profiter de la moindre parcelle de fraîcheur du carrelage du café. Et surtout il ne pardonnait pas à sa maîtresse le coup du collier ! Son garrot, si gracieux à poil, disparaissait sous le cuir de l’objet d’infamie qui, bien que signé Balenciaga, restait le symbole honteux de la servitude.

— Je sais que tu n’aimes pas ça, mais ça va nous servir…

Le retour d’El Pirata interrompit l’amorce d’engueulade-maison. L’Espagnol déposa sur le comptoir un paquet de papier kraft. Canine ouvrit son sac et y puisa un rouleau de billets exhibant la tronche du Roi. Le cafetier voulut refuser.

— Ce n’est pas la peine… J’ai de la mémoire, je te dois déjà beaucoup…

— Les petits cadeaux de ce genre risquent de détruire l’amitié ! riposta Canine.

L’Espagnol attrapa la liasse avant qu’elle ne tombe dans la bassine de sangria.



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